En 1518, on y trouve une rue qui s'est appelée la Neuve rue de la Veillère. On ne sait pas à laquelle de celles déjà citées ci-dessus elle correspond.
La Veillère était, il y a 300 ans, une véritable Cour des Miracles; on y rencontre des endroits que l'on nommait : "la Basse-Boulogne, la Cour Saint-Ladre, la rue des Folies". Le lieu était désigné fort anciennement sous le nom de Cacheraine.
Pierre DUBOIS a écrit, dans le Journal d'Amiens daté du 5 juin 1924, un article très documenté sur ce quartier minuscule mais extrêmement compliqué par son enchevêtrement de rues qui portaient toutes le nom de Veillère. En voici quelques extraits :
En ce qui concerne l'origine de son nom, "...avec modestie, déclarons que le nom de la Veillère reste inexpliqué, comme quelques autres vieux noms de nos rues et quartiers...".
"Cette pointe d'île qu'est la Veillère est bordée : au Nord et à l'Ouest par le canal d'Engoulevent et des Bourelles qui, en tournant à angle droit, devient celui du Moulin Neuf pour disparaître sous le pont jadis appelé le pont de Croix ou de la Bretèche ; ce pont a été accolé à la voûte qui a couvert l'ancien port et le "grand Quai" pour en faire la place Vogel. À l'est et au Sud, la Veillère est baignée par le canal des Majots, puis des Poirées (le long de la rue Fernel) qui, après être passé sous la chaussée de la rue de Guyenne et au "moulin à la pierre" devient le canal de la Veillère et rejoint le canal du Moulin Neuf sous le pont de Croix. Entre ces canaux, c'est une langue de terre tourbeuse "spongieuse et mouvante" comme dit une pièce du XVIIIe siècle relative au quartier ; souvent de petites maisons, pourtant légères, de la Veillère, ont sur ce mauvais sol, perdu leur aplomb..."
"Cette langue de terre a 90 m d'est en ouest, face à la rue des Bourelles, 87 m du nord au sud, face à la rue du Moulin Neuf où fut, jusqu'au XVIe siècle, le Béguinage d'Amiens. La Veillère est rattachée au reste de l'île, vers l'est, contre l'ancien moulin Crignon, par un isthme de moins de 10 mètres".
"La Veillère a sans doute été transformée depuis un demi-siècle. Regardez, dans la collection Pinsard, les dessins à la plume des frères Duthoit, vers 1840, et encore les aquarelles de Gédéon Baril vers 1880... vous ne voyez dans la Veillère, comme dans tout Saint-Leu et une bonne partie de Saint-Germain, que de petites maisons de bois et de torchis, larges de moins de quatre mètres. Un rez-de-chaussée haut de 2 m 15 à 2 m 50, porte un étage à peine plus élévé sous un grenier en soupente. Ni cour, ni cabinets. L'aération se fait par des fenêtres forcément exigües dans lesquelles joue un chassis à guillotine, vitré de petits carreaux. Sans doute, quelques maisons de briques ont remplacé de telles "cassines", comme aux N° 4 et 6 de la rue du Bout de la Veillère, mais ces "cassines" avec leurs chassis, vous pouvez les voir encore aux N° 10 et 12 (très typique) et 13 de la rue du Bout de la Veillère ; 5, 15 et 20 de la rue du Milieu de la Veillère. Presque toutes sont en piteux état...".
"On y comptait (dans la Veillère) plus de 200 maisons, en 1707, 131 encore. Or, les familles étaient toutes nombreuses. Souvent une famille n'occupait qu'un étage, c'est-à-dire une seule pièce. On peut supposer qu'avant le XXe siècle, ce minuscule quartier n'a jamais eu moins de 5 à 600 habitants !..." il termine en écrivant "le vide s'est fait peu à peu dans notre Veillère qui n'a plus que 150 habitants".
C'est toujours Pierre DUBOIS (1924) qui nous donne des informations sur les ponts de la Veillère :
"Un seul pont en "dur", unique accès pour les voitures, joint la Veillère au reste d'Amiens et d'abord à la place Samarobrive (anc. Petit Quai) : c'est le pont de la Veillère, fort ancien comme tous ceux du quartier Saint-Leu. Son aspect actuel, avec toute la "gresserie" de son arche unique, ses parapets, ses bornes pour écarter des parapets le contact dangereux des roues, lui fut donné au milieu du XVIIIe siècle ; c'est le 10 septembre 1752 que furent adjugés les travaux de sa reconstruction. Sur les autres fronts, la Veillère n'est raccordée que par deux passerelles de bois : l'une vers la rue des Bourelles, l'autre vers la rue du Moulin Neuf ; mais quatre maisons de la Veillère qui regardent cette rue lui sont unies chacune, par une passerelle"
Les inondations n'épargnèrent pas la Veillère. La plus catastrophique fut celle de fin février 1658 : "...aurions aussi trouvé le pont de la Veillère entièrement emporté par les eaux, avec les vergnes qui sont à costé ; et dans la dite Veillère six maisons ont été emportées... que depuis le dit pont de la Veillère jusques à celui du moulin à la Pierre, le terrain a été emporté avec le pavé qui était dessus, de la longueur de vingt toises sur cinq de largeur".
GOZE. M. A. a écrit dans son "HISTOIRE DES RUES D'AMIENS" tome 1er
"Le quartier, dit la Veillère, tient par un angle à la place du Petit-Quai. C'est une espèce de petite ville à part qui conserve une physionomie toute particulière. Formé de plus de 120 maisons, elle occupe une presqu'île qui ne tient à la terre ferme que par la largeur de la rue de Guyenne".
"On a dit qu'elle tirait son nom des lieux de plaisir qu'elle renfermait et dans lesquels se passaient de joyeuses veillées et des danses animées par le son de la Vièlle".
"Si autrefois elle séduisait les regards par ses riants jardins entourés de belles eaux, aujourd'hui elle les attriste par ses rues sombres et étroites et ses maisonnettes délabrées et insalubres qui ne sont habitées que par la classe indigente. Ce malheureux état de choses ne durerait pas longtemps si on établissait des ponts et des passages viables pour les voitures sur les canaux des rues des Bourelles et du Moulin-Neuf. Ce quartier est contourné par la grande et petite rue de la Veillère, et traversé par les rues du milieu et du bout de la Veillère ; en avant est une petite place qui porta autrefois le nom de la Vigne ou Vignette, et une partie de la grande rue s'appelait rue des Voiries, sans doute parce qu'on y transportait des fumiers pour le port de Don".
"Ce qui confirme notre opignon sur l'ancienne destination de la Veillère, ce sont les étymologies significatives de deux rues qui y conduisent, l'une bachique appartenant à la rue des Bouteilles..., l'autre gastronomique à celle des Trois-Sausserons qui relie, en serpentant, la place du petit Quai au Marché-au-Feurre".
"Par Sausserons on pourrait entendre des traiteurs habiles à confectionner leurs sauces et sans doute que trois artistes plus distingués que les autres par ce genre de mérite auront fait nommer la rue en question. Le lieu n'était pas mal choisi pour des restaurants : près des marchés et des boucheries et non loin de riches hôtels qui embellissaient les environs, car ces quartiers, aujourd'hui si pauvres, étaient au moyen-âge le centre du luxe et du commerce, tandis que la partie haute de la ville ne fut longtemps remplie que par des jardins et surtout par de vastes couvents..."